Paoua : Le grenier de la RCA se reconstruit peu à peu

Le marché de Gouzé reprend vie. Il avait fermé fin 2017 à cause des affrontements entre les groupes armés, dans le nord-ouest de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

19 septembre 2019 – Le marché de Gouzé reprend vie. Il avait fermé fin 2017 à cause des affrontements entre les groupes armés, dans le nord-ouest de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

Près de deux ans après la dernière crise qui a secoué une partie du Nord de la République centrafricaine (RCA), le calme est progressivement revenu dans la région de Paoua, autrefois grenier agricole du pays. Reportage sur les axes, où les populations recouvrent peu à peu leurs moyens d’existence et reprennent goût à la vie.

Aux alentours de Paoua, les villages qui s’étaient vidés fin 2017 sont à nouveau animés. Des groupes se rendent au marché, d’autres aux champs. Des enfants jouent à l’ombre sous l’œil de leurs aînés. Des cabris ou des bœufs traversent les pistes de latérite qu’il faut parfois parcourir plusieurs heures avant d’atteindre les villages les plus reculés.

Pourtant il y a deux ans, de violents affrontements entre groupes armés avaient forcé 70 000 personnes à se réfugier dans la ville de Paoua. Elles ont désormais regagné leur village, « mais les moyens d’existence ne sont pas totalement restaurés », affirme Aimé Lukelo, le responsable de la sécurité alimentaire d’Oxfam en RCA. Il explique : « Chaque communauté a son propre moyen d’existence, comme l’agriculture ou l’élevage. Or les affrontements entre groupes armés ravivent des lignes de tension ethniques et religieuses… ».

A Paoua, les conflits ont eu une conséquence sur la sécurité alimentaire des populations. Des champs et des greniers ont été incendiés, des marchés ont fermé, des charrues, du bétail et des récoltes ont été volés, des taxes sur les marchandises et sur les routes ont été mises en place par les groupes armés. Une accumulation d’exactions qui a affamé des villages et des familles entières de déplacés. Sous-alimentés, les plus vulnérables comme les enfants, les personnes âgées ou les femmes enceintes, sont tombés gravement malades.

Plus récemment, en mai dernier, au moins 46 civils ont perdu la vie dans l’attaque simultanée de trois villages dans la région (Koundjili, Ndjondjom et Bohong). Malgré les épisodes tragiques et les histoires douloureuses, les habitants des environs de Paoua tentent de reprendre une vie normale et croient résolument en de jours meilleurs.

Oxfam est partie sur les axes nord et sud de Paoua, pour recueillir des témoignages illustrant comment l’insécurité affecte la vie – et l’accès à la nourriture – de ces « retournés ».

Axe Nord

20 km : MAKANDJI

18 septembre 2019 – Elisabeth a reçu trois cabris de la part d’Oxfam pour démarrer une activité de petit élevage. © Aurélie Godet/Oxfam RCA

« Nous sommes loin des temps difficiles de fin 2017. Nous avions dû fuir Makandji après l’attaque de groupes armés.

J’ai perdu mon mari et je me suis retrouvée seule avec mes sept enfants sur le site de déplacés de la ville de Paoua.

Pendant un an, je n’avais pas accès aux champs et je faisais des petits ménages pour gagner de l’argent.

J’ai eu beaucoup de mal à nourrir mes enfants et ils ont été très malades avec de grosses diarrhées.

Aujourd’hui la sécurité n’est pas totalement rétablie, mais au moins nous pouvons nous rendre en groupe au marché et au champ le plus proche de la maison, à 2 km. »

- Elisabeth KARIOM, 35 ans.

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24 km : BENAH 1

18 septembre 2019 – Rachel vend du savon avec les membres de son groupement de petit commerce. © Aurélie Godet/Oxfam RCA

« Les groupes armés continuent de circuler. Il y a deux mois, on en a vus un peu plus au nord, vers Bétoko, en allant au marché hebdomadaire.

Nous avons été chassés de Bénah 1 en janvier 2018. Nous sommes restés six mois dans une famille d’accueil à Paoua.

Mais comme il n’y avait pas assez de lit, mon mari et notre aîné sont retournés au village malgré l’insécurité. Ils se cachaient quand ils entendaient des coups de feu. Ils dormaient les yeux et les oreilles ouverts.

Quand nous sommes tous rentrés, nous sommes allés au marché mais il n’y avait personne !

Il n’a rouvert qu’en juin 2019. Alors on se rendait au marché de Paoua, qui est à 24 km – soit 8 heures à pied pour faire l’aller-retour ! C’était vraiment difficile ».

- Rachel BENINGA, 40 ans.

Axe Sud

5 km : BOZOY 1

17 septembre 2019 – Djoumaï a acheté un cabri en prenant un crédit auprès de son groupement d’Epargne pour le changement. © Aurélie Godet/Oxfam RCA

« Ce n’est pas toujours facile. Pendant la saison des pluies, je ne vends pas suffisamment car les gens n’ont pas encore gagné l’argent de leurs récoltes.

Puis pendant la saison sèche (de novembre à avril), c’est la transhumance et je ne me sens pas toujours en sécurité. Il y a beaucoup d’agressions, de viols.

Parfois, j’ai trop peur d’aller au champ et je préfère sauter des repas…

Début 2018, lorsque des groupes armés s’affrontaient aux alentours de Paoua, j’avais même préféré quitter ma maison pour me réfugier dans la ville avec mes enfants. Nous mangions peu.

Aujourd’hui, je me sens quand même en sécurité. »

- Djoumaï OUMAROU, 35 ans.

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20 km : GOUZÉ

19 septembre 2019 – Albert a reçu 22 kg d’arachide en mai, après la récolte il les vend maintenant au marché de Gouzé. © Aurélie Godet/Oxfam RCA

« Les groupes armés sillonnent les routes à une dizaine de kilomètres. En mai dernier, lors qu’il y a eu des attaques dans la région, les habitants de Gouzé ont eu peur. Certains ont même fui à Paoua pendant une semaine !

Je suis surtout heureux que le marché ait repris. Au pic de la crise, entre novembre 2017 et janvier 2018, il avait fermé à cause des « formalités » et des barrages (ndlr : les groupes armés avaient mis en place un système de taxes sur les marchandises et sur les routes).

Des éléments armés avaient tout volé dans ma maison : mes sacs d’arachide et de sésame, ma paire de bœuf, la charrue… même les meubles !

Heureusement qu’avec mon fils nous avions caché un stock d’arachides dans la brousse. Sinon, je ne sais pas comment nous aurions fait pour nourrir la famille.

L’essentiel est d’être en vie. Il ne faut pas penser au malheur, sinon il va revenir. »

- Albert KIRIGUEROU, 72 ans.

27 km : BAMBARA

19 septembre 2019 – Nabal a repris la récolte des arachides dans le champ de son groupement multiplicateur de semences. © Aurélie Godet/Oxfam RCA

« Nous retrouvons peu à peu espoir, car nous sommes repartis de zéro après les attaques de groupes armés en 2017.

Nos maisons, nos champs et nos greniers avaient été incendiés.

Certains s’étaient réfugiés dans la brousse pendant plusieurs mois et se nourrissaient d’ignames sauvages !

Aujourd’hui c’est mieux, même si pendant la période de soudure (ndlr : entre mai et juillet, lorsque les stocks sont presque épuisés et les nouvelles récoltes ne sont pas encore moissonnées), nous avons beaucoup moins à manger.

Nous donnons des feuilles de manioc à nos enfants, sans aucun condiment. Beaucoup tombent malades… Nous souhaitons des jours meilleurs ! »

- Nabal GUIPERA, 32 ans.

Rencontre avec Nabal : « Dès que nous avons vu les bœufs, ça nous a donné du courage ! »

 

La Centrafrique, pays de 4,7 millions d’habitants, est classée parmi les plus pauvres au monde. Elle a basculé dans la violence en 2013 après le reversement du président François Bozizé.

Aujourd’hui, le conflit s’enlise et les civils paient le prix fort. 581 000 personnes ont fui la violence à l’intérieur du pays, et 607 000 sont réfugiées dans des pays voisins. Sur la période 2016-2018, 60% des Centrafricains étaient sous-alimentés. C’est le taux le plus élevé au monde.

Les personnes interviewées ont bénéficié de l’aide d’Oxfam à travers des projets d’Epargne pour le changement, d’Activités génératrices de revenus et de Groupements multiplicateurs de semences financés par les bailleurs SIDA, GFO et BMZ.

Texte et photos : Aurélie Godet / Oxfam

Publié le 16/10/2019.