Apprendre pour survivre aux violences à Bria

16 octobre 2019 – Des survivantes suivent une séance d’alphabétisation au siège de l’Association des Femmes Leaders de Bria, dans le centre de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

16 octobre 2019 – Des survivantes suivent une séance d’alphabétisation au siège de l’Association des Femmes Leaders de Bria, dans le centre de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

En République centrafricaine (RCA), une femme est victime de violence basée sur le genre presque toutes les heures. Un nombre limité de survivantes peuvent accéder aux services médicaux et psychologiques délivrés par des organisations spécialisées. Au cœur du pays, à Bria, Oxfam a mis en place des séances d’alphabétisation pour faciliter leur réinsertion socio-économique, et les aider à se reconstruire.

L’ambiance est studieuse dans les salles de classe du Foyer féminin de la ville de Bria. Au programme de la journée : lecture, écriture puis calcul. Mais les élèves ne sont pas des écoliers ordinaires. Sur les pupitres blanchis par la craie sont assis quelques hommes, et une grande majorité de femmes. Tous ont subi des violences. Ils suivent aujourd’hui des séances d’alphabétisation initiées par Oxfam, en partenariat avec l’Association des Femmes Leaders (AFL) de Bria composée des présidentes de 80 groupements de femmes.

D’anciennes analphabètes forment les survivantes

Pendant trois mois, trois fois par semaine, 92 femmes et 8 hommes participent à ce programme. « 85 ont subi des violences basées sur le genre, telles que le viol, l’agression sexuelle ou le mariage forcé… et 15 ont vécu une agression physique comme la torture ou un braquage armé », précise Séraphine Ngbanga Gonzhy, la chargée protection et genre d’Oxfam à Bria. Elle explique comment ce projet a vu le jour en 2015, sur demande de l’AFL : « Les femmes leaders était une association gérée par des hommes, car elles étaient analphabètes. Nous les avons formées, et depuis deux ans se sont elles qui assurent les classes ! ». Au total, plus de 400 personnes auront appris à lire et à écrire.

14 octobre 2019 – Des survivants apprennent la lettre « e » lors d’une séance d’alphabétisation au Foyer féminin de Bria, dans le centre de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

« Quand tu sais lire, tu ne peux pas entrer dans le conflit »

Maïmouna Baroud, la présidente de l’AFL, surveille avec bienveillance la tenue des classes. « Parfois, ce sont les femmes qui encouragent les hommes et les enfants à prendre part au conflit pour venger la perte de leurs proches ! Mais quand tu sais lire, tu ne peux pas entrer dans le conflit. L’ignorance pousse à la violence », assure-t-elle. Surtout, l’alphabétisation facilite la réinsertion des survivantes. Souvent mariées de force dès l’âge de 13 ans, beaucoup n’ont jamais connu les bancs de l’école. En suivant ces cours, elles deviennent autonomes et sont capables de créer leur propre petit commerce de savons, d’huile ou de beignets. A l’issue des trois mois de cours, elles recevront pour cela un kit, ainsi qu’une formation en comptabilité et gestion de la part d’Oxfam.

Car la vulnérabilité des femmes s’est accrue avec les conflits. A 25 ans, Fatima* élève seule ses quatre enfants depuis que son mari a rejoint les rangs d’un groupe armé. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle part en brousse chercher des fagots afin de les revendre. Il y a peu, des éléments armés l’ont arrêtée en chemin, et l’un d’eux l’a violée. Après sa prise en charge médicale, elle a été référée à Oxfam. « Petite, mes parents m’envoyaient au marché avec mes sœurs. Je regrette de ne jamais être allée à l’école et je vais tout faire pour que mes enfants apprennent à lire et écrire. Il faut avoir un travail décent ! », affirme la jeune fille.

Puis son visage s’illumine et elle glisse : « Mais ce que je préfère avec les cours, c’est que j’oublie le sentiment de tristesse. J’échange avec des musulmanes et des chrétiennes. Je ne me sens plus seule ».

16 octobre 2019 – Fatima* écrit la lettre « e » sur son ardoise, lors d’une séance d’alphabétisation au siège de l’Association des Femmes Leaders de Bria, dans le centre de la RCA. © Aurélie Godet / Oxfam RCA

Fatima et les autres bénéficiaires de ce programme d’alphabétisation sont loin d’être les seuls touchés par les violences en RCA. Dans ce pays de 4,9 millions d’habitants qui a basculé dans la violence en 2013, les civils paient le prix fort. Un incident de violence basée sur le genre est reporté toutes les 60 minutes, et 92% des victimes sont des femmes ou des filles.

Ce programme est financé par le Fonds Humanitaire et est réparti dans trois centres d’alphabétisation de Bria, dont un sur le site des déplacés de PK3. Face à l’importance des besoins, Oxfam appelle la communauté internationale et les bailleurs à poursuivre leurs efforts et financer d’urgence la réponse humanitaire en RCA.

* Le nom a été changé dans le texte

Texte et photos : Aurélie Godet / Oxfam

Publié le 25/11/2019.