Le combat de Sylvie Ngonda : soutenir les victimes, mais aussi les bourreaux
8 juin 2019 - Sylvie NGONDA, 30 ans, soutient les victimes de viol ou d'agression dans un comité de protection soutenu par Oxfam à Batangafo, dans le nord-ouest de la RCA. © AG/Oxfam
Animatrice depuis un an dans un comité de protection communautaire (CPC) de Batangafo, au nord de la Centrafrique, Sylvie Ngonda aide les victimes de viol et d’agression. Mais elle tente aussi de faire sortir les combattants de la brousse. Portrait d’une femme au service de sa communauté.
A 30 ans, Sylvie n’a jamais quitté sa ville natale de Batangafo, située à environ 80 km de la frontière tchadienne. Ici, il n’y a aucune forces régulières. Seules les forces de maintien de la paix des Nations unies (la MINUSCA) sont présentes. Une odeur de poussière chaude enveloppe ce qui reste de la ville. Les dernières années de conflit n’ont laissé que peu d’infrastructures, et beaucoup de déplacés (23 000). « Quand les groupes armés ont brûlé ma maison en novembre 2017, j’ai tout perdu », lâche-t-elle dans un souffle. Mère de cinq enfants, elle sourit timidement et semble exténuée. Elle a vécu sur le site des déplacés pendant plus d’un an. Un calvaire. Elle a vu des femmes et des filles effrayées d’aller chercher de l’eau ou de se rendre aux champs, de peur de se faire agresser ou violer sur le chemin.
8 juin 2019 - Une sensibilisation sur les femmes stigmatisées suite à un viol est organisée par le comité de protection de Sylvie à Batangafo, dans le nord-ouest de la RCA. © AG/Oxfam
Soutenir les victimes…
C’est en juillet 2018 que Sylvie intègre alors un CPC appuyé par Oxfam « Je veux soutenir les victimes », explique-t-elle, déterminée. Mis en place pour protéger les civils de la crise, ces comités organisent par exemple des sensibilisations sur les droits des femmes et des enfants. Surtout, ils accueillent et orientent vers des services adaptés les membres de la communauté qui ont subi des violences sexuelles ou physiques. Elle détaille : « la plupart des cas sont des viols, des accusations de sorcellerie sur les vieilles mamans, ou des jeunes garçons torturés par des groupes armés. Nous les dirigeons vers l’hôpital, nous assurons un suivi et nous veillons à ce qu’ils ne soient pas stigmatisés ».
8 juin 2019 - Sylvie anime la sensibilisation sur les femmes stigmatisées suite à un viol à Batangafo, dans le nord-ouest de la RCA. © AG/Oxfam
… tout comme les auteurs de crimes
Volontaire, l’animatrice ne s’arrête pas à la sortie du comité. Un jour, son petit-frère vient à la maison avec Aimé*. « Je savais qu’il faisait partie des groupes armées, alors j’ai commencé à lui parler », raconte-elle. Les yeux rivés au sol, le jeune homme a un air trop grave pour ses 26 ans. En 2015, il a pris les armes par vengeance après que ses parents aient été tués par des groupes armées. Trois ans plus tard, alors qu’il était sorti de la brousse, il rencontre Sylvie : « Elle m’a fait prendre conscience que même mes cinq jeunes frères et sœurs avaient peur de moi. Ça m’a rendu triste, et je ne voulais pas mourir lors d’un combat comme certains de mes amis. J’ai donc déposé les armes et je continue de me rendre chaque semaine aux sensibilisations du CPC ». Une réussite pour Sylvie, qui espère qu’Aimé servira d’exemple à d’autres jeunes combattants qui hésitent à regagner la ville.
8 juin 2019 - Aimé* a déposé les armes grâce au suivi personnalisé de Sylvie à Batangafo, dans le nord-ouest de la RCA. © AG/Oxfam
Car il n’est pas le seul. Cette femme engagée est aussi fière de voir régulièrement Marcelin* rendre visite au CPC. Enrôlé à l’âge de dix ans, son enfance a été volée par un groupe armé. Il en est sorti dix ans plus tard et aujourd’hui, à l’âge de 37 ans, c’est un homme brisé. D’un ton saccadé, il témoigne : « je ne veux pas que d’autres suivent la voie des armes comme moi. C’est pourquoi j’échange avec le comité sur les thèmes de sensibilisation. Je dois beaucoup aux membres du CPC. Sylvie me conseille et me raisonne. Je n’ai plus rien, mais je ne veux pas retourner dans une milice ».
8 juin 2019 - Marcelin* se rend régulièrement aux sensibilisations du CPC de Sylvie à Batangafo, dans le nord-ouest de la RCA. © AG/Oxfam
Malgré ces succès, beaucoup reste à faire. Les yeux embués, Sylvie s’emporte : « Ma nièce a été violée en avril dernier. Il faut que cela cesse ! Je ne veux plus voir la souffrance des femmes. Je veux que la paix revienne à Batangafo. Et en RCA, mon pays ».
* Les noms ont été changés dans le texte
Texte et photos : Aurélie Godet / Oxfam
Publié le 01/10/2019.