Grâce Ngbaleo : le parcours d’une activiste engagée

Grace Ngbaleo au FIFAF
"Si les lois sont élaborées, c’est pour être appliquées. Mais dans le cas contraire, il revient à nous de réclamer ce qui nous revient de droit. Ce n’est pas une faveur"
Grace NGBALEO
I Londo Awe

Partout dans le monde, les femmes sont en première ligne de la lutte pour construire un monde meilleur et plus juste. Dans les pays en crise, comme la République centrafricaine, les femmes sont des artisanes de la paix, des défenseures des droits, des militantes de la justice, des leaders innovantes de mouvements transversaux et égalitaires. Cela n'est pas sans risque: représailles, menaces, réduction au silence, violence - et en plus de cela, les femmes défenseures des droits humains sont souvent confrontées à des risques sérieux de violence basée sur le genre. Oxfam, en tant que mouvement global féministe, combattant toutes les formes d’injustice et les inégalités, croit fermement que la voix des femmes doit être entendue. Mieux, que leur rôle clé dans la protection de droits humains et donc de l'humanité entière, doit être reconnu. En ce jour où nous célébrons la Journée Internationale des Femmes Défenseures des Droits Humains, nous vous présentons Grâce Ngbaleo. Elle est une défenseure des droits humains convaincue, une militante des droits des femmes, une championne de la paix inclusive et égalitaire, qui se bat pour placer les droits humains et la justice au centre des agendas politiques pas seulement dans la République centrafricaine, mais dans la toute région.  

« Si les lois sont élaborées, c’est pour être appliquées. Mais dans le cas contraire, il revient à nous de réclamer ce qui nous revient de droit. Ce n’est pas une faveur » Grâce Ngbaleo.

Soucieuse du bien-être de la femme centrafricaine et de son rôle et implication dans le processus de paix, je me suis engagée aux cotés de mes paires à lutter pour cette cause. Victime des conflits, la femme centrafricaine selon le constat est souvent écartée des foras de discussions pour la paix. J'ai vite compris que mon expertise en communication pouvait être utilisée pour mettre en lumière la situation des femmes dans notre société et favoriser le changement. C’est pour cela qu’en 2015, étant encore étudiante, je suis devenue membre de l’Association des Femmes Professionnelles de la Communication (AFPC). Je produisais et animais des magazines sur les violences basées sur le genre, la situation des femmes victimes des conflits armés et des injustices en milieu professionnel. Promue Rédactrice en cheffe à Radio Notre Dame en 2018, j’ai fait de la justice à l’égard des femmes mon cheval de bataille, en offrant aux femmes un espace d’expression pour parler de leur vie au quotidien. La prise de parole est encore considérée comme une fonction masculine. C’est une manière pour ces femmes d’affirmer leur existence et de faire entendre leur voix et surtout de démontrer leur talent minimisé le plus souvent faute de visibilité. Un cadre qui permet de témoigner, partager les expériences et compétences des unes et autres, afin d’impacter la génération future en devenant de véritables forces de proposition et de construction du pays.

Intéressée par la nouvelle technologie et surtout le web, j’intègre en 2019 l’Association des Blogueurs Centrafricains et je fais de mon Compte Facebook, une plateforme de critique des injustices liées au genre, de dénonciation des violences faites aux femmes et de visibilité des femmes centrafricaines qui se démarquent par leurs talents dans n’importe quel domaine. En réponse au phénomène de la rumeur et désinformation sur les réseaux sociaux, j’ai lancé en février 2021, mon Blog Tâa-Pandé (exemplarité/modèle). Avec le numérique, les rumeurs et fakes news, envahissent aujourd’hui les réseaux sociaux et se propagent à une grande vitesse. Diffuser dans le but de dénigrer, tromper ou détourner les vigilances, ces fausses informations fragilisent le processus de paix et la démocratie. Des conséquences sur le vivre ensemble, la santé et sécurité sont enregistrées. Pour ce faire, donner une information de qualité, rétablir les faits dans leur contexte, attirer l’attention sur ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas constitue le cœur de mon travail dans ce sens.

Mes efforts pour défendre les droits des femmes ne se limitent pas à ma carrière professionnelle. Je suis une militante active de la société civile, engagée dans le travail de différentes associations et coalitions de défenseures des droits humains. En 2019, j’ai initié l’Association Walibamara (L’imbattable lionne de Centrafrique), une organisation des jeunes femmes journalistes centrafricaines qui militent pour l’accès et la défense des droits numériques des femmes centrafricaines, ce qui reste encore un véritable défi. Ces défis sont entre autre la faible connectivité, les injures, le harcèlement en ligne à l’égard des femmes, le piratage de leur compte, le manque de connaissances adéquates sur l’usage du numérique, etc. A cela s’ajoutent le coût élevé et le faible débit de l’internet.

Je suis également membre active et fondatrice de la plateforme I Londo Awé!  (Nous sommes debout), un réseau de talents pour développer le leadership féminin et faire émerger une société civile active et capable de proposer des solutions aux causes profondes de la crise en République centrafricaine. Après une formation sur le plaidoyer organisé par Oxfam, nous avons lancé la campagne de plaidoyer « CVJRR Paritaire », dans le but d'influencer une représentation paritaire des genres au sein de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR). Grâce aux rencontres bilatérales, j’ai eu à côtoyer des personnalités, enrichir mon carnet d’adresse, mener un bon plaidoyer et développer mon sens de leadership.

« Je me voyais jouer véritablement mon rôle de défenseur des droits humains » Grâce Ngbaleo.

Un an plus tard, cette campagne a donné un grand succès : cinq femmes sont désignées commissaires sur onze membres !

Je crois fermement qu'il faut unir des voix différentes, dans une optique de représentativité, de cohésion sociale – une preuve de vivre ensemble – pour favoriser le changement. C’est pourquoi, je partage les défis et les réalisations des femmes centrafricaines dans les fora internationaux, formant des alliances avec d'autres femmes défenseures des droits humains tout en réclamant le respect des droits des femmes dans tout le continent. En 2018, j’ai participé au African Women in Dialogue (Femmes Africaines en Dialogue) en Afrique du Sud, une plateforme annuelle de dialogue axé sur la femme africaine comme actrice du changement. En septembre 2021, j’ai représenté I Londo Awe ! au Forum International des Femmes Africaines (FIFAF) à Kinshasa, où avec des femmes du Rwanda, de la RDC, du Mali, du Togo et de la diaspora, nous avons discuté des progrès réalisés dans la participation de la femme africaine aux postes de prise de décisions et de la stratégie à suivre pour avancer encore plus d’ici 2030. A cette occasion, un diplôme de mérite et un trophée m’ont été décernés. Dénommé « Femmes qui bâtissent l’Afrique » c’est un symbole de reconnaissance et d’encouragement pour l’engagement de I Londo Awe !, son dynamisme et professionnalisme. Pour moi, c’est le résultat d’un travail d’équipe bien fait.

Je suis fière de faire partie d'un réseau aussi actif des femmes défenseures des droits humains et heureuse de voir que mes efforts sont reconnus. Cela m'encourage à redoubler d’efforts pour contribuer à l'avènement d'une société qui reconnaît la valeur des femmes en tant que leaders, actrices du changement, promotrices de la paix et activistes de la société civile. En effet, je suis, depuis septembre 2021, la Directrice Régionale en matière de plaidoyer du FIFAF et j’ai été élue comme Coordonnatrice Pays du Réseau des jeunes féministes d’Afrique centrale (REJEFEMAC), une plateforme qui amplifie les voix des jeunes féministes de la Sous-Région. Ainsi, en novembre  2021, le Conseil National de la Jeunesse Centrafricaine m’a décerné un diplôme de mérite dans le cadre des actions menées en faveur de la paix , de leadership et de l’émancipation de la jeunesse et pour avoir défendu les couleurs de la RCA à l’international.

Nous, les femmes africaines, avons accompli beaucoup ces dernières années, en luttant courageusement pour nos droits, pour l'égalité et pour la solidarité. Cependant, le chemin vers une véritable égalité et une justice de genre est encore long. Malgré l’existence des textes juridiques et des instruments de sanction pour la répression, les violences basées sur le genre, notamment faites aux femmes et jeunes filles, ne cessent de s’accroître en RCA. Le nombre de femmes est encore sous-représenté dans les postes électifs ou nominatifs, par exemple à l’Assemblée Nationale et dans le Gouvernement. Mais cela ne me décourage pas. Je continuerai à amplifier la voix des femmes africaines, à lutter pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes et à promouvoir le leadership et la participation des femmes dans toutes les couches de la société.

Je veux que les femmes centrafricaines s’accrochent à ce qu’elles font pour devenir de véritables actrices du changement, promotrices de la paix et du développement.

Je veux que les organisations s’engagent véritablement pour conscientiser sur la présence effective des femmes dans les sphères de prise de décision.

Que l’Etat respecte ses engagements sur la question de la promotion du genre.

Que la justice soit sensible aux dossiers liés à la violence à l’égard des femmes. Je veux une Centrafrique de paix, prospère qui promeut et protège les droits de la femme.

Grâce Ngbaleo est titulaire d’une maîtrise en Philosophie et d’une Licence professionnelle en Journalisme, obtenues à l’Université de Bangui. Vous pouvez suivre son travail ici https://twitter.com/ngbaleograce?lang=fa